Dans la brume écarlate de Nicolas Lebel

Dans la brume écarlate de Nicolas Lebel

Whooz : Nicolas Lebel
ON : Dans la brume écarlate – Ed. Marabout – Coll. Black Lab, 2019

Dans la brume écarlate
de Nicolas Lebel

Chronique de Bruno Delaroque

Quel plaisir et quel honneur d'avoir pu découvrir en avant-première les nouvelles aventures du capitaine Daniel Mehrlicht ! Après un flamboyant « De Cauchemar et de Feu » (Marabout Thriller, 2017) qui nous plongeait de plein pied dans l'histoire trouble de l'Irlande, je me demandais quel allait être l'angle d'attaque, le scénario et la thématique de cet acte V des enquêtes de Mehrlicht qui répond au titre de « Dans la brume écarlate » ? 

Pas facile en effet de succéder à un récit dense et complexe. Pas facile de se renouveler en gardant les ingrédients qui font le succès de la saga Mehrlicht, à savoir humour décapant et personnages attachants associés à une écriture formidable et une intrigue au cordeau.

« Dans la Brume écarlate » ne fera pas d'ombre aux précédents ouvrages, bien au contraire. Si son propos peut sembler différent, peut-être même un peu plus léger, il n'en n'est rien, je peux vous l'assurer. Trois jours d'enquête, du 15 avril au 18 avril, trois jours d'interrogations et de surprises, trois jours d'investigations dans un Paris noyé de brume et de brouillard épais qui achèvent de donner un caractère opaque à l'affaire.

Paris nimbé d'un voile cotonneux, acteur à part entière de cet acte V où Nicolas Lebel distribue les cartes lentement mais sûrement avec une grande maîtrise. Dans cette trouble instruction où personne n'y comprend rien et n'y voit goutte, il se passe des événements bizarres et déroutants.

C'est tout d'abord une étudiante dont la disparition est étrange, ce sont des traces de sang aussi que l'on retrouve au Père Lachaise, et puis c'est l'histoire de couples qui traversent ce roman : Cathy et Lucie, Taleb et Noura, Viktor et Eléana et Yvan et Milna. A travers leurs vies, l'auteur va nous servir un récit sombre d'âmes tourmentées et de destins brisés !

Avec une enquête sans cadavre au départ et un rythme différent des précédents romans, on plonge dans un opus passionnant où les références à la littérature fantastique et gothique sont nombreuses. Entre Mary Shelley, Dracula ou Jack L'éventreur, on est gâté. Même la Seine, brunâtre, boueuse et polluée se met au diapason de l'horreur ambiante en apparaissant plutôt comme une artère au sang vicié acheminant son lot de déchets.

Si Nicolas Lebel avec l'humour de Daniel Mehrlicht nous fait sourire tout au long de ce scénario où l'on retrouve pèle mêle au détour d'une page, Anne Hidalgo, Roger Gicquel, Jacques Chirac, Luc Ferry, on fait la grimace avec ces anonymes, des fantômes ; des hommes et des femmes devenus transparents, mais pourtant trop visibles aux yeux de certains de nos concitoyens. Des migrants qui ont fui leur pays, pour échapper au pire et croire en un avenir meilleur. Des hommes et des femmes déracinés que la précarité désigne comme proies faciles à toutes sortes de trafiquants.

Dans le brouillard insondable de la ville lumière qui a perdu tout son éclat, Mehrlicht, Latour et Dossantos, ses fidèles adjoints, semblent dans le flou le plus total. Toujours un train de retard pour notre capitaine à la tête de grenouille pour qui la justice, l'équité et la recherche de la vérité n'est pas un vain mot !

Avec l'humour, on peut dire beaucoup de choses et avec Daniel Mehrlicht, c'est un festival. Roi de la clope et prince des jurons quand il est énervé par la sonnerie de son téléphone, il est cependant très sympathique parce qu'il est pétrit de bons sentiments et d'humanité. C'est un point d'ancrage pour son équipe, un phare, un guide, une bouée de sauvetage, et ses coups de gueule légendaire ne lui donnent que plus de crédit.

On retrouve avec délice les descriptions pittoresques aux tirades jouissives comme à la page 103 où la description de Mehrlicht par son supérieur Matiblout vaut son pesant de cacahuètes comme on dit. Enorme, je ne vous en dit pas plus pour ne pas gâcher votre plaisir, vous découvrirez par vous-même. Mais si les héros et l'écriture de Nicolas Lebel sont incomparables, il ne faut pas négliger pour autant le fond du bouquin qui vient se greffer au fur et à mesure de l'intrigue.

Crise migratoire et montée des extrémistes, c'est une sacrée radiographie de ces trois ou quatre dernières années que nous propose Nicolas Lebel. Avec son regard affûté et plein d'humanité, en fin observateur de notre société, il livre un constat alarmant de ce qui se passe actuellement, prenant le pouls d'une société malade que l'on essaie de nous faire « comprendre » par le biais des chaînes d'info en continu qui formate le grand public et nous abreuve de poncifs et de vérités toutes faites, images et discours déjà digérés pour mieux nous lobotomiser !

Et au milieu de cela des bars identitaires, des hommes ou femmes politiques faisant leur show, et les rouages d'une République, attaquée, malmenée, mais toujours debout : « Droit du sol, droit du sang. Où était le droit dans ce lynchage » ? (p214).

Constat alarmant d'une violence sans fondement sans discernement, tout comme celle d'un dictateur roumain, Nicolae Ceaucescu, à la source du mal et au cœur de cette histoire. Cette Europe qui a soif de paix ne doit pas oublier les exactions et épurations récentes dans des pays d’Europe centrale à une encablure de nos poreuses frontières.

Faire justice soi-même est-il juste ? Peut-on répondre à la violence par la violence quitte à perdre ses repères et sa condition de citoyen civilisé et sa liberté? Les choix sont fait parfois dans l'urgence et sont de toutes façons toujours douloureux, mais lorsqu'ils sont prémédités, ils déclenchent bien souvent une spirale infernale !

Le tableau ne serait pas complet si je ne mentionnais pas cette empathie permanente pour ces milliers de personnes disparaissant chaque année et dont on retrouve jamais la trace, pour le dégoût que provoque ces innombrables personnalités étrangères s'affranchissant des lois en profitant de la protection diplomatique, où encore plus légèrement en évoquant la version revisitée made by Lebel de « Pour que tu m'aimes encore » Goldman /Dion.

Le nouveau Mehrlicht/Lebel fait un sans-faute, ciselé finement avec humour, amour, empathie et talent. C'est une histoire obscure et effrayante qui vous promènera dans un Paris aveugle, dans une Europe au bord de l'explosion, mais c'est aussi un regard porté sur notre monde de plus en plus fou qui ne retient pas les leçons du passé et voit ressurgir de vieux relents identitaires ici et là, dopés par la misère du monde. Heureusement il nous reste la gouaille d'un Mehrlicht pour dédramatiser le propos, et ça, ça fait drôlement du bien !

 

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16/04/2019
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