Fatum de Sylvie Callet
Whooz : Sylvie Callet
ON : Fatum – Editions du Caïman, 2023
Fatum de Sylvie Callet
Chronique de Bruno Delaroque
Du sang pour commencer ce roman ; celui de madame Henry, couchée sur le carrelage de sa cuisine, en train d’agoniser, devant une Samia médusée, la petite voisine, qui venait rendre des livres et tombe sur cette scène atroce.
Dans cet immeuble très bigarré qui sent les épices, le couscous et toutes les effluves chatoyants de la Méditerranée ; l'arrivée de cette voisine, blanche et muette, surnommée « la femme aux livres » a de quoi interpeller.
En une trentaine de page l'immersion au cœur de la cité est stupéfiante. Abby et Samia, les deux adolescentes vont être les héroïnes d'un récit que l'on découvre peu à peu. Eprouvées dans leur vie de famille avec pour l'une un divorce des parents avec le père reparti au bled, et l'autre avec un père pochtron et fourbe, les barrières et les repères n'existent plus, et il est facile de partir en vrille.
Des couloirs de caves aux dérives à venir, le monde risque d'exploser bientôt pour Samia, pour Abby, ou pour les deux ? Sylvie Callet pose les jalons d'une sombre histoire et nous prend déjà aux tripes avec ses descriptions précises. C'est impeccable et implacable !
Peinture sociale avec des femmes livrées à elles-mêmes, au cœur de la cité, sous l'œil des frères endoctrinés, c'est un constat difficile et impossible, entre détresse et résilience, pour ces sœurs, ces mères et ces femmes, coincées entre l'accueil et la liberté à la française et l'obscurantisme partout présent.
En parallèle entre chaque chapitre, on alterne avec des petits chapitres en italique (de plus en plus longs), où l'on parle d'une personne emprisonnée. Mystère, qui est -elle ?
A quoi donc tient une vie ? Qu'est-ce qui nous fait prendre le bon ou le mauvais chemin ? Telle est une des questions que nous pose Sylvie Callet. Des traumatismes de l'enfance ou des rêves brisés, un père qui se fait la malle, des mauvaises rencontres, il y a plein de raisons pour basculer d'un côté ou de l'autre. Au contraire, lecture et culture, c’est l'influence de certaines personnes, un professeur, une voisine, et vous voilà sur la bonne route.
Dans ce scénario ou la charité chrétienne n'est qu'une vue de l'esprit, la noirceur prend le pas et les coups du sort martèlent la vie de nos gamines comme un puissant séisme qui détruirait tout. Est-ce que ce désastre va mener à une rédemption, à des jours meilleurs ? Seule la romancière apparemment a sa petite idée.
Qu'y a -t-il de commun entre Sohan, Younès, Abby, Samia et la femme aux livres ? Peut-être rien, peut-être tout. Des histoires, des vies qui se croisent, des rancœurs, des haines, des illusions, ou de la bêtise tout simplement ?
Des idéaux trop idéalisés sans doute, des convictions, des chemins tortueux, bref juste ce que l'existence peut vous apporter de pire ou de mieux.
C'est un grand roman noir que ce « Fatum » de Sylvie Callet, actuel et factuel, une pépite noire à souhait. Elle nous emmène là où on ne l'attend pas et construit un scénario avec des héros attachants fragiles et donc facile à malmener. J'ai adoré cette histoire qui porte un regard sur notre monde sans forcément porter de jugement. Bravo Sylvie Callet pour cette histoire sans faille, et merci à Jean-Louis et aux éditions du Caïman pour me permettre de découvrir de jolies pépites.
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