
Rencontre avec Guillaume Audru et Alexis Aubenque

Whooz : Guillaume Audru et Alexis Aubenque – Olivier Vanderbecq et Romain Delvallet
ON : Humeurs Noires de Lille
« Duel » de barbus dans
la Cave du Corbac et du Renard
Rencontre avec Guillaume Audru et Alexis Aubenque à la Librairie Humeurs Noires de Lille*
Ah la SNCF et ses aléas ! Alexis Aubenque et Guillaume Audru étaient les invités d’une nouvelle rencontre exceptionnelle organisée par la Librairie Humeurs Noires de Lille, et le voyage de Guillaume Audru fut transformé en un véritable périple par la SNCF ! Colis suspect, suicide sur voie, panne, l’auteur de « L'île des hommes déchus » les a toutes cumulées (j’exagère volontairement pour que la petite histoire retienne le « périple » accompli par Guillaume Audru pour qu’enfin il arrive à Lille). Une arrivée pour le plus grand bonheur des lecteurs et amateurs de littératures sombres qui n’auraient raté sous aucuns prétextes une rencontre comme seule sait les organiser « Humeurs Noires ». Une rencontre construite, et passionnée, menée par Olivier Vanderbecq, le seul et unique « Corbac » himself.
Galerie exclusive
Récit de la rencontre
Celle-ci démarre par « Le jeu des points communs », jeu auquel Olivier Vanderbecq aime bien s’adonner avant de lancer les débats.
Le jeu des points communs. Alexis Aubenque et Guillaume Audru ont en commun la lettre « A » dans leurs noms de familles. Et la Barbe ! Clairement Alexis Aubenque et Guillaume Audru sont deux écrivains qui n’écrivent pas de la même manière et qui n’abordent pas les mêmes sujets.
Présentations de rigueur
Alexis Aubenque : Je suis un auteur de Thillers/Polars « à l’américaine ». Il y a 10 000 façons d’aborder l’écriture, soit on a un message à faire passer, soit on fait du divertissement. A la base je veux faire du divertissement. Ce qui ne veut pas dire que je sois dénué de sens. Le sens, pour moi, sert au divertissement.
Au départ je voulais être éditeur mais je n’avais pas d’auteurs sous la main, donc j’ai tenté d’écrire. J’ai d’abord écrit de la Science-fiction, puis sur les conseils d’une éditrice, du Polar. Depuis je fais du Polar. La différence entre Polar et SF c’est que dans le Polar « on écrit des horreurs », « les lecteurs lisent des horreurs », « mais le milieu est très sympa ». Le milieu de la SF est sectaire, il m’a « craché à la gueule » à cause d’idées arrêtées.
Guillaume Audru : J’écris depuis 10 ans, je suis barbu depuis 10 ans également. Je suis arrivé au Polar car à la base je suis un très gros lecteur de ce genre littéraire. J’enquillais 3 à 4 bouquins par semaine avant que l’écriture prenne le pas sur mon temps de lecture. Je ne suis pas dans le divertissement, comme Alexis. Je raconte des histoires qui ne sont pas jolies du tout ! Sinon dans la vie je bosse pour un centre d’appel pour un labo pharmaceutique. Je n’écris pas entre les appels, mais parfois je m’envoie des idées à moi-même par mail. Enfin je suis aussi le vice-président de l'association poitevine « L'Instant Polar » qui a fait deux Salons. Ce qui est compliqué mais on aime bien recevoir dans le Poitou !
Question croisée à Alexis Aubenque sur les raisons du choix du divertissement et de l’étranger comme lieu d’action par rapport à Guillaume Audru qui ancre son action dans un terroir et qui lui s’exprime dans « le Noir ».
Guillaume Audru : « L'île des hommes déchus » (2013) a mariné pendant 3, 4 ans sans que je commence une ligne. Au départ je ne trouvais pas d’endroit où situer mon action. Je n’allais pas écrire sur Poitier, une ville très calme ! Par passion pour le single mat j’ai choisi l’Ecosse ! J’avais besoin que mon lieu d’action, une île, soit à la fois un lieu accessible et inaccessible. Un lieu où dès qu’on y entre on n’en sorte plus. « Les ombres innocentes » (2015), mon second roman, a un côté social plus marqué. D’où cela me vient-il ? Je ne sais pas. Il me vient « par la misère des gens » ! C’est un terme beaucoup trop fort. Il me vient par le fait que je n’ai pas envie de personnages extraordinaires, j’ai envie de personnages simples quand j’écris. Je n’ai pas envie de personnages de profileurs ou de super flics. Je veux des gens simples, « mais compliqués ». Sans chercher à me dire « est-ce que c’est social ou pas », je fais évoluer mes personnages le plus naturellement possible. C’est ainsi que les choses viennent.
Des personnages asociaux. Les trois héros des « Ombres innocentes » ou les « miséreux » de « L'île des hommes déchus ».
Pour « L'île des hommes déchus », j’ai pris des exemples familiaux. Le personnage du père a le caractère de ma mère. A sa construction, je ne me suis pas dit que j’allais y mettre le caractère de ma mère. C’est lors de la relecture de mon manuscrit que ce personnage m’est apparu comme ayant le caractère de ma mère. (Mon premier roman a agi pour moi comme une thérapie !). Pour « Les ombres innocentes », je ne me suis inspiré de personne ! Je me suis inscrit avec des personnages « moins buttés » que dans mon premier livre. L’action se passe dans le Massif Central, et les gens y sont comme je les décris. Les gens sont enfermés sur eux-mêmes. Le climat est rude, aussi ! Les gens de là-bas sont taiseux. Le caractère de la Région façonne les gens là-bas.
Choisir un lieu
Alexis Aubenque : Pourquoi j’aime la Science-fiction au départ ? Je suis sur terre et je n’irai jamais dans l’Espace. Mais l’Espace me fait rêver. Et les races bizarres, les vaisseaux spatiaux me font délirer. Un jour on m’a dit d’écrire un Polar. J’y étais plus ou moins obligé, je l’ai pris comme un défi. Je lisais peu de Polars, je voyais des films, c’était tout. Je ne voulais pas d’un Polar du terroir, d’un Polar qui ne me fasse pas rêver. J’ai donc choisi de fixer mon action en Amérique. Par contre je n’allais pas placer mon action à New York ! J’y connais rien, ça se serais vu que je n’y ai jamais mis les pieds ! J’ai donc inventé « River Fall », ma ville tout comme David Lynch l’a fait avec « Twin Peaks ». River Fall est une ville dont j’ai inventé les rues et dont j’invente les rues au fur et à mesure de l’avancée de mes livres. A partir du moment où j’ai bâti mon décor, j’y ai mis mes personnages, que j’aime bien, et que j’ai plaisir de retrouver de livres en livres !
Guillaume Audru : Moi je suis pragmatique, j’ai recréé « Soma », la ville de mon premier livre. La ville de Soma est officiellement inhabitée. J’ai repris une carte, et fixé mes points cruciaux. Il fallait que mon plan soit sur papier.
Construire son récit
Alexis Aubenque : Dans la SF, tu inventes tout. J’en ai bavé dans le Polar. J’ai mis énormément de temps pour écrire mon premier, et il y a des erreurs que je ne referai pas. Si tu ne connais pas ton histoire, tu peux vite emmerder les gens, et moi je n’ai pas envie de les emmerder. Je ne vis pas que pour le style, je vis pour l’Histoire. Quand j’écris je veux avoir de belles images dans ma tête. Si j’ai des images qui ne me plaisent pas, alors ça va pas.
Guillaume Audru : Moi je note tout. Je m’envoie des mails au boulot et je me réveille la nuit pour écrire des notes. Pour « L'île des hommes déchus » j’avais 4 fichiers, pour « Les ombres innocentes » je suis descendu à 2. Je ne dresse pas forcément des fiches de personnages etc., mais je créé des synopsis. Pour les « Hommes déchus » j’avais un synopsis de 4 pages et j’ai travaillé uniquement à partir de ce document. J’avais également des fiches personnages, même si je n’ai pas utilisé les ¾ de leurs informations. J’avais besoin de ces informations. Pour résumer, au départ j’ai un énorme brouillon, avec plein d’idées, dont certaines pourrons même servir pour d’autres textes. Et petit à petit, je gomme jusqu’à obtenir le tableau final.
Des catégories
Pour Olivier Vanderbecq, Guillaume Audru peut se placer entre Buisse et Colette et Alexis Aubenque serait à rapprocher de réalisateurs de films américains.
Guillaume Audru : Je suis d’accord pour qu’on me rapproche de Franck Buisse, mais pas du tout avec ce que fais Sandrine Colette. Non. Au niveau de l’écriture, je ne peux pas écrire autrement qu’au présent. La première version des « Hommes déchus » était écrite au passé etc. cette version était « lambda ». Cette écriture était « molle », j’ai repris mon roman en plaçant le narrateur au cœur de chaque chapitre. Ma caméra est placée sur le narrateur. Passer par le « Je » est beaucoup plus fluide. Même si mon processus d’utiliser un narrateur par chapitre peut dérouter.
Alexis Aubenque : Je ne suis pas d’accord quant au rapprochement avec des réalisateurs de films américains. Je fais du « commercial », mais il y a beaucoup de divisions dans cette catégorie. Je tiens au rythme, je tiens aux personnages. Mon style est certes visuel et cinématographique mais je ne fais pas de l’action pour de l’action. Je tiens que mes livres aient du sens.
Je passe un mois à construire mes livres en fixant qui tue, comment et pourquoi. Suivent trois mois d’écriture et deux mois de relecture. En gros. Six mois de travail et j’envoie le tout à l’éditeur, qui me redemandera des corrections.
Guillaume Audru : Je suis d’abord séduit par l’intrigue, puis par l’écriture.
J’ai passé six d’écriture « pures » pour mon second bouquin, et des mois de relectures. Mon premier livre m’a pris beaucoup plus de temps quant à mon troisième il est toujours en « totale gestation bordellique ». Est-ce que ce sera la suite de mon premier ? Je ne sais pas ! J’ai un autre projet en tête. Mon troisième aura un côté social très prononcé, c’est une certitude. Je pense que mon troisième aura pour cadre la Papouasie. J’avance très vite sur ce projet. J’écris vite car je suis « en osmose » avec mes personnages. J’utilise maintenant la troisième personne, mais j’écris toujours au présent.
Alexis Aubenque au futur
Alexis Aubenque : J’ai des personnages qu’on me redemande ! Il est difficile de leur donner une suite.
Mon futur c’est que je continue ma trilogie. Le titre de travail de mon prochain bouquin était « La dernière aurore ». Je ne suis pas un maniaque du titre. Il aurait pu s’appeler « Aurore à River Fall » ! Il s’appellera « Aurore de sang ». Il sortira le 17 novembre prochain. La fin de mon prochain est énorme, elle appelle un autre bouquin. Et j’ai déjà la fin de mon troisième tome !
* Le samedi 1er octobre 2016