En Mai fais ce qu’il te plait vu par Christian Carion
Whooz : Christian Carion
ON : En Mai fais ce qu’il te plait
Du film au livre
Rencontre avec Christian Carion autour de la novellisation de son film « En Mai fais ce qu’il te plait »
Résumé de la rencontre animée et modérée par Frédéric Launay, journaliste, au Furet du Nord de Lille
En Mai fais ce qu’il te plait, argument. Mai 1940. Pour fuir l'invasion allemande, les habitants d'un petit village du nord de la France partent sur les routes, comme des millions de Français. Ils emmènent avec eux dans cet exode un enfant allemand, dont le père opposant au régime nazi est emprisonné à Arras pour avoir menti sur sa nationalité. Libéré dans le chaos, celui-ci se lance à la recherche de son fils, accompagné par un soldat écossais cherchant à regagner l'Angleterre...
La solidarité au milieu des épreuves
Christian Carion : « Une hirondelle a fait le printemps » est un film sur deux solitudes qui se croisent, sur « En Mai » le groupe est plus important, il est la seule façon de s’en sortir pour ce village lancé sur les routes de France. La notion de groupe, de solidarité, est commune à tous les témoignages que j’ai pu recueillir de l’exode de 40. J’ai essayé avec ce film d’être en accord avec toutes les informations que nous avons pu récupérer, ma co-auteure et moi, et tout d’abord le récit de ma propre mère.
Des groupes de nationalités multiples
Le territoire du Nord-Pas-de-Calais a toujours brassé beaucoup de nationalités. Quand avec mmmm mmmm j’ai commencé à écrire « En Mai » nous nous sommes nourri de témoignages de personnes qui ont participés à l’exode et nous nous sommes rapidement retrouvé avec un corpus franco/français, or nous sommes au cœur d’une guerre mondiale, c’est ainsi que le soldat britannique s’est dessiné. Il y avait des soldats britanniques à Arras, j’ai décidé que mon soldat serait écossais, qu’il jouerait de la cornemuse et qu’il ait du panache. Quant à mon allemand il rappelle que les premières victimes du régime nazi sont les allemands eux-mêmes. 300 000 allemands ont cherché refuge en France, pays des droits de l’Homme. Il y avait là un personnage intéressant à trouver, quelqu’un qui fuit l’Allemagne, un ennemi pour les nazis et qui restera « un boche » pour les français.
Du scénario à l’écran
Faire un film est un long processus. Il y a un fantasme de film au départ. L’écriture de la première version est souvent, volontairement, trop explicite et trop bavarde. Il y aura ensuite une phase de rétrécissement, un peu comme on réduit une sauce en cuisine. On épure, on simplifie, on supprime des personnages, on cherche à en dire le moins possible. Le vrai choc par rapport à la réalité est quand on commence à faire la préparation du film. On a alors un scénario qui a convaincu des acteurs, des financiers et, sur le terrain, vous cherchez la réalité de ce que vous avez écrit. Vous passez du rêve à la réalité, c’est le choc. Vous vous heurtez à la réalité financière. Le moment de la préparation est le moment de la réalité la plus fragile pour un film. On peut perdre un film à ce moment-là. Une fois les repérages faits vous êtes obligés de réécrire pour tenir compte de ce que vous avez pu trouver ou de ce qu’il est possible de faire. Ce qui est souvent douloureux mais nécessaire sinon le film n’avance pas. Avec le tournage, la grande nouveauté c’est ce que vont apporter les acteurs. Il se dégage souvent un sens, une évidence, une lecture, que vous ne pouviez pas forcément imaginer à l’écriture du scénario. Il faut à ce moment-là laisser parler l’image plus que le dialogue, il faut donner la parole à l’acteur. Après le tournage vient le montage et une nouvelle écriture s’installe. Vous découvrez le sens et les ellipses au montage. Le tournage est le temps de l’addition, vous prenez tous les plans que vous pouvez en peu de temps, le montage est le temps de la soustraction car la compréhension, le ressenti est différent.
Le livre
On s’est toujours dit qu’on le ferait, et moi j’ai toujours voulu mettre dans le livre ce que nous n’avons pas pu ou voulu mettre à l’écran. Sur le papier on peut se permettre de prendre un peu plus de temps et mettre des informations que l’on ne trouve pas dans le film. Ce qui m’anime le plus est que je suis un conteur, ma mère m’a transmis le goût de raconter des histoires. Je le fait avec les armes du cinéma. Pour l’écriture j’ai revisité l’histoire.
Une histoire racontée d’une manière visuelle
Je suis très visuel. J’ai besoin de voir. Ce qui est de la déformation scénaristique. C’est une tournure d’esprit complètement différente que d’écrire un scénario ou un roman. Je tenais à ce que ce film se tourne dans le pays de mon enfance, le sud de l’Artois, un pays en cinémascope. Tourner dans ce paysage là c’est renouer avec mes souvenirs d’enfances, des parfums, des bruits … J’ai essayé d’imprimer les pages du livre des atmosphères de mon enfance.
Les dialogues
Les dialogues retranscrits dans le livre sont ceux du film, et pour les scènes qui ne sont pas dans le film, mais dans le livre, c’était l’écriture du scénario. Les dialogues sont écrit pour être entendu, j’écris autant pour voir que pour entendre ! J’avais envie d’entendre les dialogues comme si quelqu’un allait me les dire.
« En Mai fais ce qu’il te plait » ou l’exode d’un village entier qui se déplace avec ses valeurs
« En Mai » à un personnage central joué par Olivier Gourmet et qui est inspiré de mon grand-père maternel. Mon grand-père était profondément éprit de la république et de ses valeurs. En tant qu’élu il accueillait les instituteurs et institutrices comme éléments fondamentaux de l’ascenseur social. Parti sur les routes il est parti avec la Marianne sous le bras, et il s’est évertué à maintenir le parfum de la république avec le groupe. Faisant en sorte que rien ne change alors que tout le pays s’effondrait autour de lui. Mon grand-père était consterné que tout s’était écroulé autour de lui, que les gendarmes ou les pompiers avaient désertés … Il ne s’en est jamais remis ! Il s’est senti trahi, abandonné. Il y a de ça dans le livre et dans le film. L’un des moments clé de l’histoire est sa période de doutes. En tant que maire il était « Moïse », et à un moment donné ce fut trop. Quand les panzers allemands l’ont doublé son énergie a été anéantie, il décida de rebrousser chemin.
Les panzers et le travail de post production sur « En Mai fais ce qu’il te plait »
J’ai toujours rêvé de bombarder Arras ! (Rires).
Aucun avion n’est réel dans le film, j’ai cru qu’on n’arriverait jamais à faire voler ces avions ! Huit mois de travail ont été nécessaires. Tout le travail en post-prod a été fastidieux mais intéressant à faire. Les panzers étaient quatre, ils ont été pris sous tous les angles et à l’image cela donne 60 tanks.
Retour à l’écrit, ce qui initialement détermine le choix des acteurs
August Diehl, l’interprète de Hans, le réfugié allemand, lit le scénar une première fois dans un café, en tant que spectateur. Si le scénar lui plait, alors il étudie son personnage et voit ce qu’il a défendre, à l’intérieur d’un film qu’il juge bon. C’est d’autant plus important qu’ « En Mai fais ce qu’il te plait » est un film choral, il n’a pas de rôles principaux.
Diriger les acteurs
Il est très important d’écouter ses acteurs, les entendre et choisir. Avoir le dernier mot néanmoins. Sur « Une hirondelle a fait le printemps » Serault m’a dit de lui faire confiance dans son jeu pour faire passer les mots du dialogue et de lui faire confiance sur le choix des costumes. C’est ainsi que je suis devenu extrêmement vigilent sur les choix des décors, sur les choix des costumes également. C’est pour cela que nous avons tourné « En Mai » dans le Nord-Pas-de-Calais, avec la participation des habitants des lieux qui se sont accaparés leurs rôles. Un deuxième cadreur a même filmé les gens à leurs insu.
J’ai tourné mon film comme un western (un western dont Ennio Morricone a assuré la musique !). Tel un western « En Mai » est n film où on ne parle pas beaucoup c’est d’ailleurs mon film le moins bavard.
Tourner sur un conflit
« L’affaire Farewell », « En Mai » et « Joyeux Noël » sont trois conflits où je suis parti de faits personnels. « Joyeux Noël » car je suis né sur la ligne de front et que je suis tombé sur une histoire de fraternisation qui m’a émue. J’ai été touché par l’aspect politique de « Farewell ». Enfin, « En Mai » rends hommage à mes parents et grands-parents. « En Mai » est d’ailleurs dédié à ma mère.
Pour conclure : « En Mai fais ce qu’il te plait », un film citoyen et un film actuel
Je le pense. Il y a sans doute dans ce film l’héritage de mon grand-père et un vrai débat sur le vivre ensemble, sur la république. En Mai 40 mon grand-père a essayé de défendre ses valeurs jusqu’au bout.
« En Mai » sort à un moment où des images d’actu font échos au film. Ce que je peux dire c’est que je vois la même énergie pour s’en sortir chez les migrants actuels qu’ont eu mes parents et grands-parents. Dans les deux cas ce sont des gens qui n’ont pas eu le choix de s’en aller. Je n’ai pas de solution pour le mouvement actuel. On me dit souvent la situation actuelle concerne un autre pays. Pour mes parents, passer Péronne c’était tout une aventure ! La distance n’est pas la même en Mai 40 que celle d’aujourd’hui, le côté humain est le même, seule l’aire géographique a changée.
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